auguste macouba (martinique)


au che

pp. 37-38


« ...Il n'y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié ».
(« Et les chiens se taisaient » - Aimé CESAIRE)

« Opprimés de tous les pays unissez-vous ! »

               Aujourd'hui la parole est à l'espoir
     Le silence de la nuit frappe à pleines mains
     Ses tambourins
     Dehors, dans le noir, pas une seule étoile ne regarde
     Du haut de la voûte obscurcie
     Et nulle silhouette, sur le sentier,
     Ne se profile nocturne.
     Comme nul rire béat de la lune
     A travers les fentes des cases
     N'amuse les paupières dépliées du levant au
     Ponant de la fève oblongue.
     Même les vagues
     Bruissantes sur le sable
     Ne bercent plus du flux et du reflux
     Le plomb du sommeil.
     Les chiens de fer se sont tus
     Enfermés dans leur tour.
     Les coqs pensent sans bruit dans l'enceinte
     Du pitt.
     Pas le moindre alizé sur les feuilles
     Evanouies
     Des grands cocotiers.
     Pas un vol de lucioles aux éclats d'émeraude
     Les rainettes ont cessé leur refrain
     Quotidien
     Ce soir
     Le silence est Roi, debout comme un lion
     Dans la ville
               dans la plaine
                              sur les mornes
     Seul souffle éveillé.. Guerilla ay Guerilla !
     Dans un miroir,
     Tu me regardes comme œil de cyclope
     Comme un ciel à cœur ouvert
     Rouge est le feu de ta prunelle
     Qui me fixe
     Tel un disque incandescent
     Du soleil levant ...
     Soudain, vif ! Un grand cri !
     Brisant le silence
     De la nuit en miettes
     Tel un bris de silex au fin fond des forêts.
     Les lueurs de partout ont surgi
     Montrant leurs dents de plomb et de poudre
     Eclair de pourpre
     Flammes de la mort et de la vie
     Corrida
     Des cœurs où galope
     Le glas
     Des jours sombres de soumission !
     Le calcaire des mornes découvre lubrique
     La nacre de son flanc
     Qu'un arc-en-ciel
     Suce du bout des lèvres.
     Sur le goudron saignant
     Par les sentiers de fougères fréquentés de serpents
     Le torrent impétueux
     D'enfants fougueux envahit le terre-plein
     De la ruche natale
               comme un essain d'abeilles
     Chargé de lumière
     Avec des dards pointu es flaques mauves du sang des vautours
     Terrassés
     S'immobilisent.
     Messagers porteurs de jours nouveaux !
     On ne mendie plus le soleil volé !
     Jusqu'au sein du sommet
     De la mort
     Et jusqu'aux portes du ciel et de l'enfer

Tuez
Le spectre indigne de la peur !
Et crevez le silence pestilent de trois cents ans !
Car plus jamais
Ni traîtres ni lâches
Car à jamais
Ni maîtres ni ciel ni dieu,
Mais un mot
Un seul,
Le vrai,
Plus vrai que le cristal
S'éclairent les eaux de la Lézarde
Irisée de reflets
Plus beau que fleur coquelicot
Et plus doux
Que le premier Mai du muguet.
Car aucun être sur notre planète
Ne délaisse son nom pour un sobriquet
Et nul ici-bas ne joue la bourrique d'un autre.
On ne détient pas à l'infini des temps
Des hommes en carcan.
On ne brise pas la figure d'un peuple qui rit.
On ne coupe pas le cou du soleil debout.
On ne remorque plus le destin des autres
Car en eux
Vibre le chant des damnés
Comme vibre le blues au cœur de Harlem
Puisque le chant du vent Nouveau
A caressé l'olivier et le roseau
Du royaume d'enfance,
Et pour Nous aussi le soleil a
Enfoncé ses griffes de lumière
A la racine de notre sang.
Guerilla ay Guerilla !
Son majeur du
Tam-Tam sculpté
Résonne cri insoumis
Sur une peau de bourrique domptée !
L'ultime chant de l'homme
Aujourd'hui, la parole est à l'espoir,
Je dis que la parole est à l'Espoir.
Comme la conque est à l'onde marine
Sans cesse
Murmure la mer
Ce chant profond qui fait écho
Par delà les mornes
Une verte feuille large et luisante
A l'horizon du balisier écarlate
Quand l'arbre à pain plantureux
Sur cette planète devient pour tous fécond.
Oui, je dis, qu'aujourd'hui
La parole est à l'Espoir ! Camarades
Vous tous opprimés sans plein vent
Monde accroupi et humilié
Frères de la faim
                  offensés sans force
Je dis qu'on ne verra plus de nègre lacunaire,
D'Hindou famélique
Ni de jaune qui soit un péril
L'homme ne verra plus de napalm
Pour le Viet-Nam et pour la Chine.
Il n'y aura plus de chiens en Alabama
Et pas plus à Salisbury ou Johannesbourg
Ni baie des Cochons
Ni marines à Saint-Domingue et ailleurs.
Je dis qu'il n'y aura plus de poussières
Qui ne puissent totalement exister.
Camarades opprimés
A la tyrannie des faucons en puissance
Nos mains à d'autres mains par delà les océans
Triomphera un bouquet fraternel.
Aujourd'hui, la parole est à l'Espoir.

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A publié :
             — LE CRI ANTILLAIS (éditions Librairie de l'Etoile)
                          Recueil de poèmes interdit aux Antilles sous domination Française
             — EIA MANMAILLE-LA ! (« Théâtre africain » Editions P.J. OSWALD)
                          Pièce écrite pour rappeler les journées d'émeute de Décembre 1959 à la Martinique.