el mostafa nissaboury


après-midi d'un damné

pp. 44-45


Je me souviens qu'hier la ville fut mise à sang. Entre hier et aujourd'hui le sang s'est mêlé au sable et aux arbres ce qui a provoqué des dunes et un soleil indifférent. Puis 1'air s'est raréfié. Les Employés de l'Air Irrespirable, la populace aidant, masqués et armés d'aspirateurs se sont mis au travail pour rendre à la ville son aspect de toujours. Le moindre grain, la plus petite feuille perdue dans l'entrelacs des branches, furent lavés, léchés, essuyés et on aménagea d'énormes silos pour y jeter tout l'appareil qui servit à ce nettoyage mémorable.
            Ceux qui survécurent réclamaient sous leur djellaba du pain et du sommeil. Un sommeil qui garde à l'abri des tempêtes. Un dernier             recours qui évite d'être jeté, la bouche ouverte, en pâture aux mouches, tout le monde se souvenait, questionnait, faisait le calcul essentiel.
« Tu y découvriras tes angoisses fossiles. Cherche et tu trouveras. Prends garde à ce que tu n'en sois fasciné et que tu ne sois amené a découvrir l'interdit des Trônes, des Arbres, des Familles ».

Après quoi des arcs furent édifiés. Perpétrés. Ils venaient couronner, comme chaque année, le génie sanglant des Grandes Familles qui peuplaient notre sommeil d'infirmes, de troglodytes affamés et de vieilles femmes dont l'anus pendant balayait le sol. Ces arcs, que les artisans ont passé des jours et des nuits à monter dans les artères principales de la ville, je dis bien furent perpétrés, plus hystériques que jamais, plus violents que jamais, plus meurtris que jamais ils vous jettent à la renverse et vous vous retrouvez pelotonnés en place devant un café dont vous avez pris soin de préciser la couleur et la densité mais vous êtes à vrai dire sans pensée, sans aucune douleur, dans une espèce de neutralité qui vous fait accepter en un même moment hommes et chiens dans un cauchemar auquel vous vous êtes tant bien que mal habitués et vous croquez en toute jouissance, en toute innocence, d'interminables cornes de gazelle à la santé de votre disparition prochaine et à la santé de qui se souvient d'avoir forniqué des années durant pour se retrouver, une nuit, dans une mare et qui s'est mis à pleurer pour finalement accepter le meilleur el le pire à côté de celle qui le poursuit dans ses rêves de chaouch révolté jusqu'à la bave, qui le poursuit, le vilipende, le poursuit ameutant flics et tolbas jusqu'à ce qu'il tombe raide - mort. Vous êtes morts après vous être identifiés aux nuages. On n'évoque une mémoire que pour en râcler les contours jusqu'à en faire un cure-dent et on finit par en rire. Vous êtes morts sur un transistor qui résonne de voix bien payées. Vous êtes morts dans vos gestes et paroles suspendus dans l'air, morts bêtement, comme des escargots qui se mettent à traverser les routes. Une fois morts, la gens locale se réclamant de généalogies monnayables par vendredis de survie et amphores de miracles, sort de l'année du rationnement pour aborder l'ère splendide de la blague qui doit lui assurer pendant longtemps encore les meilleurs king size et de l'alcool, des jouvencelles comme il n'y en a qu'au paradis. La gens locale, férue de touristes, n'a rien perdu de ses vieilles habitudes. C'est pourquoi elle montre avec fierté les nouvelles réalisations en matière de politique hôtelière, de terrains de golf, d'art piqué de tradition + modernisme = ce qu'il faut pour le moment parce qu'à côté de ce pays bienheureux (particulièrement doué de richesses naturelles, confluent de races, de cultures, de civilisations) tout est désert. La gens locale, mère des mères de notre mort, est une pluie qui n'efface rien, c'est un fait accompli comme le Destin, le joyau irradiant de notre connaissance dans la soumission, comme c'est de coutume dans les livres et manuscrits au chevet des vieux morts pour qui nous avons bâti des monastères blancs comme1a neige.
Vous êtes morts hier.
Je compare les arcs à des banquises dans une mer sourde entre moi et la veille, c'est-à-dire qu'ils m'en détachent, créant des ruptures dans le temps, des frontières de violence. Pourléchés par les hyènes publicitaires (avec leurs femelles, leur progéniture, leurs babouches troquées contre des pièces d'identité) ils rappelaient dans leur sinistre majesté l'impossibilité des bilans, la précarité des calculs, l''incertitude des raisonnements. Rappelaient le cynisme et la rapacité du clan nomade sédentarisé dont je voudrais de potassium asperger la main recto-verso, et dormir.

Comme un damné.
Comme tous les damnés de la terre.

O ma haine
                 à la dérobée
pour qui j'ai cherché dans les escarpements de ma révolte
des lits de sable
des étangs paléolithiques
des provinces entières au fond des nuits de cro-magnon

ma haine
pour qui j'ai construit des villes
blanches et noires
avec des sous-sols et des rues étroites

qui t'es mêlée à mon sang
giclant
aspergeant les dalles et les tours
Exportée en Europe
                  pour délirer sur du pain et du vin
                  pour conduire le métro du suicide
recouverte de poussière comme mon sang
sous le couvre-feu


O ma haine
où tourne le bacille du séisme.